Trouver refuge

Ce n’est pas beau à voir. Difficile, pourtant, de décrocher les yeux du spectacle. Car c’en est un pour les enfants qui l’ont attrapé et jeté là, sur le dur. L’animal se traîne, lançant ses tentacules sur la surface écrasée de soleil, s’y agrippant de ses ventouses. Sa grosse tête molle et trop lourde, poisseuse, verdâtre, laisse sur le sol brûlant une trace humide, aussitôt évaporée. Ses siphons s’ouvrent et se referment comme la bouche d’un vieillard qui souffle, qui souffre. Sans grâce et sans beauté, mais avec une détermination qui force le respect, il se propulse vers la seule issue possible, rassemblant ce qui lui reste d’instinct vital. On a l’impression de le voir luire dans ses yeux jaunes, barrés d’un trait noir.

Enfin, ses longs bras trouvent, comme à tâtons, l’anneau de métal, puis la corde qui retient la barque. Ils s’y enroulent, mobilisant leurs dernières forces pour faire venir la tête qui, sans son poids, fait basculer tout le corps dans l’eau. Il y a un bruit humide, celui de l’impact, quelques ronds liquides, ensuite plus rien à part une forme fluide, rapide, fuyant sous la surface l’attention des hommes. Et la violence dont ils sont capables.

Ce poulpe, c’est moi, se dit l’homme.

Il saisit la main de sa fille, traverse la passerelle avec elle le plus calmement possible et ne respire normalement, au milieu des hommes en noir abîmés dans leur prière, que lorsque le bateau a mis une centaine de mètres entre eux et le quai écrasé de soleil. À présent, ils sont inatteignables. Ou presque.